Hospitalisation d’Angelo

Angelo c’est un enfant des rues un peu spécial. Il est orphelin, son âge se situe entre 7 et 10 ans, il ne parle pas beaucoup dû à sa déficience mentale et est très expressif. Le RAC (Reception Action Center) est devenu son lieu de vie en juin 2012. Je vous ai parlé du RAC plusieurs fois, cette prison pour les enfants et familles qui ont le malheur de vivre dans la rue, que l’on « ramasse », que l’on « entasse » dans cet endroit et dont on ne soucie guère. Angelo est un petit garçon que j’affectionne particulièrement. Ces personnes "special" comme on les appellent ici, n’ont aucun statut dans ce pays et sont souvent maltraités. Chose inacceptable et d’autant plus dans un pays où 85% de la population est catholique (et pas qu’un peu ! ) et dont le verset de la Bible le plus connu est : «tu aimera ton prochain comme toi-même».

Cet enfant a été maltraité. Il y a peu son état s’est considérablement dégradé et la mort rodait derrière chacun de ses pas. Cathy, coordinatrice de l’équipe qui intervient au RAC, m’en a alerté. Nous avons tout de suite réagi. Les anciens volontaires du RAC de ces derniers mois ont lancé une page de collecte pour pouvoir avoir les fonds pour l’hospitaliser. Le RAC est responsable de lui mais nous savons que nous ne pouvons pas compter sur eux pour l’investissement humain et financier que cela demande. Après plusieurs jours à insister auprès d’eux pour l’hospitaliser, samedi 04 mai je reçois enfin un SMS de Jeff, l’infirmier de Virlanie qui intervient au RAC, qui m’annonce que le RAC a amené Angelo à l’hôpital.

C’est le moment où jamais, je le rejoins à l’hôpital de Manille. Il est 13 : 30. En arrivant à l’entrée de cet hôpital public, je le vois assis au milieu de gens qui attendent patiemment de se faire examiner. Il me voit et soudain son visage se détend comme soulagé de voir une personne qu’il connait au milieu de ce lieu inconnu, ses yeux s’ouvrent grand, il me tend les bras et se met à pleurer silencieusement car il n’en a plus la force. Je l’enlace et le rassure. Le regard des gens est assez perturbant, beaucoup nous regarde en souriant, en riant. Je ne comprends pas bien ces réactions. Un médecin me dit qu’ils ne peuvent pas le garder car il a la tuberculose et qu’ils ne sont pas équipés pour le recevoir. Nous devons aller à l’hôpital San Lazaro, spécialisé dans les infections. Nous partons donc avec le van du RAC. Une fois arrivé, un infirmier s’occupe de lui, lui fait faire des radios des poumons et du système digestif. Ici commence mon discours que je répéterai des vingtaines de fois durant tout le weekend. Je dois expliquer comment je connais l’enfant, mon lien avec lui. On me demande ses antécédents mais je ne suis pas capable de répondre précisément. On me demande de signer des papiers et je dois donc expliquer que la personne du RAC qui m’accompagne est en charge du garçon, que je ne fais que payer les frais et être présente à ses côtés.

Finalement après quelques heures, le médecin prononce enfin les mots que je souhaitais entendre ; Ils le gardent en observation. Il veut s’assurer qu’une personne sera à son chevet 24/24h autre qu’un responsable du RAC car il sait pertinemment que l’on ne peut pas leur faire confiance. Je lui promets donc que nous ferons ce qui est nécessaire. Il faut donc signer de nouveaux papiers. Malheureusement Steeve du RAC est parti chercher des habits pour Angelo et n’est toujours pas revenu. L’infirmière en chef s’impatiente et viens me dire sèchement que cela prend trop de temps, que je dois signer les papiers. Je lui explique donc encore une fois la situation, elle ne m’écoute pas, hausse la voix et insiste en me disant que si les papiers ne sont pas signés elle nous met dehors. Je lui demande alors « Et puis quoi ? Vous le renvoyer au RAC et il meurt là-bas ? ». « C’est ça » me répondra t-elle sans une once de remords.

Entre temps les examens révèlent qu’Angelo est obstrué du système digestif et cela devient la priorité à soigner. Nous partons donc pour l’hôpital Jose Meyer, spécialisé en chirurgie. En arrivant, je suis encore une fois abasourdie par la simplicité des lieux. Tout est basique. Tous les patients sont dans cette grande salle, à peine séparé par un rideau. Le gouvernement ne daigne pas investir dans ses hôpitaux, les budgets sont coupés, les médecins à moitié moins payé mais travaillant toujours autant et une population qui subit ce manque d’investissement. Je vois et vit pour la première fois des choses que je n’imaginais pas. Travailler dans les hôpitaux est une vraie vocation. Le chef de service me dit qu’ils le gardent pour la nuit et qu’ils verront demain s’il a besoin d’une opération ou non. Rachel viendra me relayer pour cette nuit. Tout au long de la journée, les médecins et infirmiers ont été adorables avec Angelo et c’est ce qui m’a aidé à tenir le coup.

Il est minuit, je quitte Angelo, 1m13, 16 kgs.

Dimanche, 13h, me revoilà au chevet d’Angelo. Il n’a pas été opéré et est de retour à l’hôpital San Lazaro. Je cours dans tous les sens pour aller acheter ses médicaments, le matériel nécessaire à son hospitalisation car aux Philippines les hôpitaux publics ne vous fournissent que les lits. Vous devez acheter vous-même vos seringues, vos cathéters, vos tubes, vos médicaments,… Dans l’après midi, il commencera enfin à être soigné pour la tuberculose, pour sa malnutrition et dans les jours qui suivent pour la gale. Il peut, petit à petit, recommencer à boire puis à manger.

Durant le prochain mois, nous allons nous relayer avec certains volontaires pour être à son chevet la journée. Nous payons 2 aides soignantes qui sont là pour lui durant la nuit. Il est toujours accompagné.

Je partage cette expérience avec vous car elle est très importante pour moi, la plus forte que j’ai vécue depuis mon arrivée et surement la plus belle action que j’ai pu faire en 25 ans.